Le dictionnaire Larousse définit le patrimoine comme « ce qui est considéré comme l’héritage commun d’un groupe », citant en exemple « le patrimoine culturel d’un pays ». Il y a donc, à ce niveau de définition du terme, une notion de valorisation d’un bien commun, se référant à une culture partagée. Il n’est point question ici d’esthétisme ou de valeur marchande, mais plutôt de jalons historiques, du témoignage d’une époque ; d’un repère commun au sein d’une communauté sociale, ayant marqué son temps et/ou caractérisant une population dans son contexte sociétal. Le concept offre un champ d’acceptation très large, au point de mêler des biens tangibles, comme des monuments ou des sites par exemple, à des traditions plus intangibles comme des us et coutumes ou des pratiques et savoir-faire.
Valorisation de lieux emblématiques
Dans cette optique, une industrie peut prétendre à relever du patrimoine, qu’il s’agisse de sites tel le bassin minier du Nord classé au patrimoine mondial de l’Unesco (parmi 44 autres français), d’usines emblématiques dont l’usine des Batignolles à Nantes inscrite aux Monuments Historiques comme la Manufacture des Armes de Saint-Etienne ; ou de machines, à l’instar de la « Machine des eaux et aqueduc » de Maisons-Laffitte, ou de l’ancienne glacière de Strasbourg avec ses trois turbines. Depuis 2019, la Fédération Française des Véhicules d’Epoque (F.F.V.E) valorise des lieux emblématiques liés à l’automobile ou à la moto (70 à ce jour) en apposant une plaque sur un site historique : anciennes usines de fabrication d’automobiles comme Facel-Vega à Dreux ; circuits comme l’autodrome de Linas-Montlhéry ; garages comme le Bel Air à La Rochepot ; ou encore concessions comme le Palais Automobile Matteï à Marseille.
L’une des grandes révolutions du XXe siècle
L’histoire industrielle de la France intéresse de plus en plus de gens. Les ouvrages sur le sujet, en constante augmentation, en témoignent ; de même que l’essor du « tourisme industriel » consistant à organiser des visites guidées de sites remarquables permettant de comprendre l’évolution des techniques, ou plus largement, du développement d’une région. Cela offre aussi aux élus locaux, une opportunité de faire connaître leur territoire et d’y stimuler leur activité économique. Dès lors, il n’est pas surprenant que la notion de patrimoine concerne la locomotion, l’une des grandes révolutions du XXe siècle ; et que l’intérêt porté à l’automobile ancienne ne se limite plus aux musées présentant des véhicules sans véritable approche didactique sur leur valeur patrimoniale, ni explication du contexte social de leur époque. Les Journées du Patrimoine encouragent les populations à découvrir ses richesses en ouvrant l’accès, gratuitement à des sites habituellement payants, ou mieux encore, à des lieux ordinairement fermés au public. Le succès populaire de ces journées est considérable et illustre l’attachement du public à son patrimoine. La Fédération et les clubs d’automobiles anciennes s’inscrivent dans cet élan, et s’associent à l’événement en mariant des lieux historiques à des modèles de collection, le temps d’une journée au cours de laquelle le public peut dialoguer avec les propriétaires ou gardiens des sites et ceux des véhicules. L’automobile s’appréhende alors autrement, dans une perspective différente de celle du « tout électrique ».
Une relation « amour-haine ».
L’automobile, symbole de liberté, de progrès, de réussite sociale au siècle précédent, est devenue en une vingtaine d’année, synonyme de nuisances de toutes sortes : pollution, encombrement, comportements inciviques… Bannie des villes, honnie par les écologistes ; traquée par la maréchaussée et taxée par les gouvernements, elle opère à marche forcée, sa mutation vers la décarbonation. Et pourtant, paradoxalement, elle fait encore rêver, notamment les anciennes et naturellement les supercars si l’on en juge par la bonne santé des magazines spécialisés et l’affluence aux événements tels le « Tour Auto », le concours d’élégance de Chantilly ou le salon Rétromobile. Les 24 Heures du Mans demeurent un succès populaire considérable avec plus de 300 000 spectateurs enthousiastes et des audiences télévisées de niveau « foobalistique ». Est-il dès lors surprenant de voir le circuit de La Sarthe remporter ce titre de « monument préféré des Français » devant des monuments plus anciens et plus traditionnellement identifiés comme « historiques » ?
Non, si l’on tient compte du fait que plus de 500 000 votants ont placé le circuit en tête parmi 14 finalistes tels le Château de Fontainebleau, la Saline Royale d’Arc-et-Senans ou le Beffroi de Douai. Non plus si comme le commentait Stéphane Bern, le promoteur du concours, « chaque français a une histoire à raconter avec le circuit des 24 Heures ». Non enfin si on admet l’ancienneté de l’épreuve centenaire (1ere édition en 1923) et sa contribution au progrès automobile aux plans des lubrifiants, des pneumatiques, des éclairages, des freins (notamment à disque en 1953) ; la liste n’est pas exhaustive.
Les enjeux sont énormes
Pour autant, bon nombre de critiques ont jailli au lendemain du résultat, particulièrement sur les réseaux sociaux. Principaux reproches énoncés : « un circuit automobile n’est pas un monument » ; « Le Mans, c’est juste du bitume » ; « un circuit est un site qui pollue » ; etc. Plus largement, assimiler automobile et culture heurte quelques intellectuels qui n’ont sans doute pas lu Roland Barthes (Mythologies, 1957, Le Seuil) ou Jack Kerouac (Sur la Route, 1957 ; Le Vagabond Solitaire, 1960 ; Big Sur, 1962, traduits en Français chez Gallimard-Folio). La controverse n’est pas seulement d’ordre culturel, et sur l’acception du terme selon les uns et les autres ; elle est également d’ordre écologique. L’industrie automobile vit une révolution sociale et technologique dont les enjeux sont énormes : changement du rapport à l’objet sous le vocable de la « mobilité » ; mutation profonde du processus de fabrication avec la transformation des usines et l’intégration des fournisseurs de batteries ; impact économique incertain du fait des investissements colossaux et de la sensibilité du consommateur au prix des véhicules électriques ; impact réglementaire avec la baisse régulière des normes de CO2 et des autorisations de circuler en ville. Des questions existentielles se posent clairement sur l’avenir des équipementiers comme celui des réseaux de garagistes ; ainsi que de la compétition automobile, les circuits comme les rallyes étant soumis à des contraintes de plus en plus drastiques.
Héritage et évolutions
Les défenseurs de la « bagnole » luttent pour préserver leur passion, ou plus simplement leur liberté de rouler pour le plaisir, tandis que les détracteurs la relèguent au rang d’un objet de consommation du passé. Le débat est parfois houleux entre industriels et pouvoirs publics sur la question de l’échéance de la fin des moteurs thermiques en 2035 par exemple ; mais aussi entre les politiques qui s’affrontent sur le dérèglement climatique et l’impact social du tout électrique pour les ruraux et les ménages les moins aisés. Et cela n’est pas fini… Pourtant, il n’est pas illusoire ni incohérent de prendre en compte les évolutions du secteur tout en s’intéressant à l’héritage automobile et à la passion qu’il peut engendrer. Il suffit de lire chaque mois l’Automobile pour constater que si le sommaire traite abondamment de l’actualité des nouveaux modèles, il laisse de la place au « rétro » et à la compétition.
Il est ou le bonheur ?
Chacun s’accorde sur le fait que l’automobile représente un élément important de la vie sociale. Elle offre un moyen de déplacement qu’aucun autre ne peut concurrencer au niveau de la liberté de circuler et de l’autonomie. Elle constitue aussi un facteur économique non négligeable, du fait du nombre d’emplois qu’elle génère, directement ou indirectement ; et des revenus qu’elle apporte à l’Etat. Elle procure aussi du plaisir à ceux qui se passionnent pour elle, ancienne ou moderne, et à ceux (pas forcément les mêmes), qui se déplacent pour assister à des compétitions telles que celles des 24 Heures du Mans.
Doit-on vraiment s’offusquer ?
Alors pourquoi s’offusquer que des amateurs, au sens littéral du mot – ceux qui aiment – restaurent et maintiennent en état des véhicules anciens, permettant au passage de préserver des métiers traditionnels comme ceux de la carrosserie par exemple ? Ils sont heureux de partager leur passion avec les populations, qui s’en réjouissent aussi la plupart du temps en levant un pouce approbateur au passage d’une vieille voiture encore capable de rouler. N’est-il pas aussi écologique de conserver et entretenir un patrimoine que de recycler une auto usée pour en acquérir une neuve ? Qu’y a-t-il à ce point choquant qu’une majorité de personnes, à un instant donné, reconnaisse le circuit des 24 Heures comme faisant partie intégrante d’un bien commun ?
Parmi les plus chanceux au monde
Vivre en société, c’est vivre ensemble en acceptant les différences et en tolérant que nos semblables ne vivent pas exactement comme nous. Nul ne conteste la nécessité de protéger la planète et d’adopter des mesures en conséquence ; mais nul ne conteste non plus le besoin de conserver un riche patrimoine, témoignage de la vie de nos aïeux. Personne n’a remis en cause la restauration de la Cathédrale de Paris, dans le strict respect des techniques d’origine, après l’incendie de 2019 ; et chaque famille est fière de faire visiter à ses enfants les châteaux de la Loire et de montrer aussi la 203 Peugeot ou la Citroën DS du grand-père. L’homme est attaché à son passé, à son histoire commune. Ceux qui en ont moins, comme les Etats-Unis, y sont d’autant plus sensibles et prennent grand soin des témoignages de leurs 250 ans. En France, nous sommes parmi les plus chanceux au monde tant notre patrimoine est riche et divers. L’automobile, dont la France est une des nations fondatrices, appartient à notre patrimoine. Il apparait alors que ce débat sur le monument préféré des Français, s’il constitue un problème, est un problème de riche.
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