Casting d’Anciennes : la Lancia Aurelia du Fanfaron

Nouveau format sur News d’Anciennes. Chaque mois on va revenir sur une voiture qui a marqué les esprits en étant un élément important d’un film. Gilles, un de nos fidèles lecteurs vous replonge ainsi dans des classiques de tous âges. Pour commencer, direction l’Italie.

Le Fanfaron en bref

Titre original : Il sorpasso
Réalisateur : Dino Risi
Production franco-italienne
Noir et blanc.
Avec : Vittorio Gassman, Jean- Louis Trintignant et Catherine Spaak dans les rôles principaux.

Synopsis :

La journée du 15 Aout, à Rome, rend la ville déserte avec des citadins qui se ruent à la campagne ou jusqu’au bord de la mer. Un étudiant en droit, seul à réviser à son domicile, est interpellé par un inconnu recherchant un poste téléphonique, inaccessible un jour férié. Débute alors entre les deux hommes une série d’imprévus qui vont les conduire hors de la ville. Aux commandes d’une voiture de sport, les kilomètres vont défiler ainsi que des rencontres éphémères…

Le modèle de voiture vedette :

La marque Lancia peut s’inscrire fièrement sur la liste des pionniers de l’automobile. Depuis Janvier 1908 les modèles sont présentés sous un label haut de gamme, puissants et luxueux. Dans les années cinquante, la famille cède le blason à Carlo Pesanti, ce dernier préservant le même esprit mais avec la ferme volonté de moderniser l’entreprise. C’est dans ce contexte que les ingénieurs planchent sur un modèle déclinable en berline, cabriolet et spider. La Lancia Aurelia naît d’une politique avant-gardiste de plate-forme commune, sa sœur l’Appia aura même droit à un pick up utilitaire…

Zoomons alors sur le coupé Aurélia B24 de 1955 : si une voiture peut représenter une vitrine de son époque, celle ci en est un exemple. Stricte deux places, sportive, place est faite au plaisir, à la séduction et aux vitesses pouvant griser une clientèle avide de sensations, prête à oublier les années austères de l’après guerre.

Séduisant, le coupé Aurelia peut prétendre l’être. Sa ligne, presque symétrique au point des portières, se prolonge vers la face avant et cette calandre intégrée au bosselage du capot est du plus bel effet. Si les logos Pininfarina sont présents sur les autos, c’est bien Boano, alors chez Ghia, qui signe ce dessin. C’est une vraie gamme qui va se créer. En plus de la berline, des déclinaisons de carrosserie vont apparaître : le Coupé, le Spider et le Cabriolet.

Toutes les versions partagent un V6 qui va naître avec 1754cm³ sur les premières autos avant d’arriver à 2 litres en 1951. Le spider B24 du Fanfaron est une ultime évolution puisque le V6 est porté à 2451cm³ !

A l’époque, on peut s’inquiéter d’un coupé surmotorisé à ne pas mettre entre toutes les mains. Mais s’il faut rassurer la clientèle, c’est chose faite avec l’adoption d’une pièce de guidage, type Panhard, sur l’essieu rigide arrière. L’auto tient la route ! Le survirage maîtrisé devient même un terrain de jeu pour les pilotes amateurs…

Par la suite, les avis seront partagés, entre ceux qui vouerons un culte sans faille à la première série : portières sans poignée, pare-chocs avant séparé en moustache, pare-brise incurvé selon la mode américaine et ceux qui bouderont les évolutions marketing. Le volant ne gardera pas son cercle de bois, remplacé par un cerceau bakélite, présent également sur d’autres modèles de la gamme. Et puis viennent les détails qui font d’une automobile une promesse de voyage unique : le démarreur s’actionne sur pression de la clé de contact. Le pédalier au plancher offre un accélérateur suffisamment haut pour pratiquer le talon pointe, B-A BA de la conduite sportive.

La voiture du film :

Non, ce n’est pas l’heure de la sieste à Rome qui laisse baissés les rideaux de fer de la ville éternelle. Les rues restent désertes, quelques piétons s’aventurent même au milieu des boulevards où les rares automobiles zigzaguent avec aisance. La grandissime citée antique va garder cet air d’abandon la journée entière : le 15 Août, en cas d’oubli d’achats de quelques courses, mieux vaut faire preuve d’imagination. Vittorio Gassman a beau bondir d’un trottoir à l’autre, les embardées et dérapages du train arrière de sa Lancia Aurelia B24 ne l’aideront pas à débusquer une boutique ouverte. Tel un «Jack in the box», l’acteur s’extrait du spider Turinois en détente de ressort à l’affut du moindre distributeur de tabac sous cellophane.

Sa précipitation semble coutumière, au regard des bosses, retouches de peintures qui constellent la carrosserie. Pourtant, en 1961, date du tournage du fanfaron de Dino Risi, l’auto du haut de ses sept années conserve des qualités intemporelles.

La vitesse ! Toute classe sociale confondue, le réalisateur italien assoit sur les deux sièges avants un étudiant en droit timide et taciturne, un ouvrier agricole qui rejoint la ville et l’archétype du latin volubile, désinhibé. Cheveux au vent, le tronçon de route commune ressemblant plus à un tour de manège, ce sont alors les vives accélérations accompagnées du borborygme de la carburation qui fédèrent ces passagers d’un sourire juvénile.

Dino Risi dirige Vittorio Gassman et Jean Louis Trintignant dans une aventure débridée. Lorsque le premier sollicite un inconnu, c’est pour accéder à un téléphone introuvable dans la capitale romaine, paralysée le temps d’un jour férié. Les deux protagonistes n’ont rien en commun : Jean Louis Trintignant est cloîtré dans son appartement pour réviser ses modules de droit, Gassman court la ville en dilettante, distrait par la moindre occasion de s’amuser ou de suivre du regard les ravissantes italiennes. Trintignant se laissera tenter par l’opportunité de rejoindre la mer et de laisser le soleil hâler un visage pâli par l’obscurité des salles d’études.

La place de la Lancia Aurelia dans le Fanfaron

Dans la construction de son long métrage, Dino Risi conçoit une structure basée en majeur partie sur l’automobile et sa fonction. Au cours des années après guerre, l’amélioration du niveau de vie permet à la plupart des européens d’accéder à un logement plus confortable, aux moyens de locomotion et à des loisirs. L’automobile est alors l’illustration de cet ascenseur social, en même temps qu’elle indique implicitement l’appartenance à une hiérarchie sociale de classes. Mais avant tout, elle est perçue comme une possibilité de se déplacer de façon indépendante. Des familles modestes découvrent des régions voisines, rejoignent le bord de mer pour se mêler aux notables.

Sous l’œil du cinéaste, les voitures jouent le rôle de révélateur : elles symbolisent certes une réussite matérielle, mais à travers le personnage de Vittorio Gassman, elle correspond surtout à un miroir reflétant une image similaire : bouger, entamer des relations qui ne s’inscrivent pas dans la durée, tels des passagers susceptibles d’être débarqués rapidement.

Sur la route, l’auto ne fait pas défiler uniquement les paysages de l’Italie centrale. Elle participe à une photographie de la société, comme ces embouteillages sources de conflits et vitrines des différentes classes sociales.

Course éphémère, sans dévoiler la conclusion suggérée par le film, la liberté de circuler comme bon nous semble peut griser, mais l’air libre, les grands espaces se consomment aussi avec modération…

Le film a rencontré un vif succès. Son réalisateur, en pleine gloire des tragi-comédies italiennes, sait caricaturer la course vers une société de consommation. Son regard acerbe dépeint des individus superficiels, mus par un individualisme destructeur et qui se perdent dans une agitation sans but.

Au volant avec Vittorio Gassman :

Départ de Rome, direction Pomezia, petit détour par Santa Marinella pour rejoindre Livourne. Ça c’est de la balade ! Il y a juste ce satané allumage qui fait des siennes, mais comme le souligne le comédien, l’avantage avec 6 cylindres, « c’est qu’on peut manquer d’un ou deux ». Le plein, un tour de clé et c’est parti.

Derrière ce magnifique volant siglé Lancia et avec le levier de vitesse au plancher, la position de conduite est parfaite. Au mois d’Août les routes sont un peu surchargées, le spider se faufile cependant et glisse sur la voie médiane pour doubler les Fiat poussives… C’est autre chose que de potasser des cours de droit et réviser des examens. Pour dérider son passager, Vittorio Gassman se colle aux autres voitures à grand renfort de klaxon. La mode est aux voitures de sport débridées, synonyme de réussite sociale, comme si dans les années soixante tout devenait accessible : les loisirs, les vacances et les destinations improvisées.

La Lancia Aurélia n’a pas bénéficié de la même popularité commerciale. La part de niche élitiste qu’elle visait a fortement limité ses chiffres de vente. Il n’en reste pas moins qu’elle détient une place de choix parmi les collectionneurs avec encore plus de nostalgie pour les cinéphiles.

Bon, au prix de l’ Aurelia, il va falloir l’entretenir un peu mieux. Et pour ce qui est de la conduire aujourd’hui, il y aura peu d’élus car le modèle a atteint des prix stratosphériques dans le milieu de la collection !

Photos : Wikimedia Commons et production
Vous pouvez voir le film à la location, notamment ici.